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lutineries de plumoc

Le train du jeudi après midi (brute)

4 Octobre 2015 , Rédigé par Renan Plaquet

Le train du jeudi après midi (brute)

J’étais parti ce matin de Sens. Sans rire, sans larme ni espoir de retour. Dans la fraicheur d’avant l’aurore, j’étais venu peser sur ses bras une dernière fois…

Ça n’aura pas duré longtemps. À peine quelques semaines. Au début, nous étions gênés, mais c’est normal ! Tous les débuts de sont, au moins un peu… Je me souviens de sa main moite, du calme de son cœur, de la profondeur de ses soupirs. Elle était déjà foutrement jolie. La rencontre d’un triptyque parfait : les yeux bleus vert et le teint slave, les formes et les cheveux méditerranéens et la finesse des traits hindis. Son air gêné lors de notre première rencontre avait caché celui hautain qui gâtait cette divine créature bien trop assurée. Elle savait que personne ne pouvait résister. C’était une briseuse de cœurs, une bouffeuse d’âme, une sorcière

Je comprenais mieux le trac de notre entremetteur ; ses mains moites, elles aussi, son pouls de puncheur qui me bottait les fesses si tentées que j’en ai et sa respiration saccadée : un coup long, deux courts et une suite chaotique parsemée d’apnées.

Il tremblait déjà le soir où par sa plume et suivant l’encre, il m’avait donné l’âme qui m’anime aujourd’hui. Je suis né d’un homme perdu en mer, combattant les vagues de stresse du timide parti se faire peur et affronter son mal houleux, qui s’amuse en démiurge, à lui mettre la tête sous l’eau, à contrôler le rythme de ses poumons.

Quelques mots sur ma page blanche avaient suffi à me faire penser. Quelques mots malhabiles et retenus. Les timides ne sortent pas leurs tripes, même lorsqu’ils sont transis d’amour et qu’ils prennent leur temps pour assembler de leurs mains un livre de poèmes qu’ils n’ont pas su écrire.

Après quelques mois écrasé entre une méthode d’espagnol encore sous film plastique et le presque bois d’une bibliothèque Ikea, elle avait décidé de mettre fin à notre relation. Jeter ce bout d’âme, cette infusion de sentiment amoureux qui lui rappelaient trop, sans doute, qu’elle ne ressentait rien. Je ne lui en ai pas voulu de me balancer dans un carton à la lueur douce d’une ampoule écolo que l’on vient d’allumer. Cette beauté qu’elle portait ne permet pas d’aimer.

Elle m’offrait une dernière balade entre ses bras avec une vue imprenable sur le ciel de Paris. Un bâtiment obscur avec du monde des bips et d’autre bruit signait la fin de cette vie. Une dame m’a occulté comme si j’avais ebola. Elle m’a rendu à ma maudite déesse avant d’accepter tous les autres. « Désolé, on ne reprend pas les livres dédicacés. » : il n’acceptent pas les livres en vies ici, seulement les morts ou les aseptisés.

Sur le chemin du retour, je serrais les pages à chaque poubelle croisée ; notre histoire n’avait pas était belle, et je redoutais cette fin.

Un tiroir de bureau pour quelques heures, une dernière promenade ensuite, et nous voilà retournés à la gare en début d’après-midi. Arrivée dans le wagon, elle m’installe à côté d’elle, mais de l’autre côté du boyau qui se faufile entre les rangées de sièges de voyageurs.

Il n’y a pas beaucoup de monde dans le train de ce jeudi après midi. Le contrôleur annonce l’arrêt Sens, elle se lève, enfile sa veste et me remet debout, comme sur un présentoir roulant à vive allure vers Auxerre.

Il n’y a vraiment pas grand monde dans ce train… J’espère que quelqu’un me ramassera.

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